D'une langue à l'autre
Retrouvailles, se recroqueviller, emberlificoter, à bras le corps, mise en abyme… Ces mots propres au français sont compliqués à expliquer ou à traduire. De la même manière, certains mots portugais, arméniens, slaves, arabes, espagnols, polonais ne peuvent être exprimés de la même manière en français. Traduits ils perdent leurs images et ne peuvent plus accompagner la réalité du locuteur étranger.
Aucune traduction n’est impossible au sens général, mais certains mots ou concepts ne trouvent pas d’équivalent parfait d’une langue à l’autre, car ils restent spécifiques à une culture, un pays, une histoire ou un environnement.
L’éloignement, le manque de son pays, s’exprime en polonais, tout autrement qu’en français. C’est un mot fort, riche de significations, se rapprochant de l’idée de nostalgie.
Repenser ses repères
« Retrouver ses repères », rentrer chez soi, en afrikaans, se dit de manière figurée. Vous saurez, après cette courte vidéo ce que veut dire « retrouver ses pieds » en afrikaans.
Traduire "chéri" de l'afrikaans au français
« Langue et société ne se conçoivent pas l’une sans l’autre. (…) Par la langue, l’homme assimile la culture, la perpétue : ou la transforme. Or comme chaque langue, chaque culture met en œuvre un appareil spécifique de symboles en lequel s’identifie chaque société. La diversité des langues, la diversité des cultures, leurs changements, font apparaître la nature conventionnelle du symbolisme qui les articule. C’est en définitive le symbole qui noue ce lien vivant entre l’homme, la langue et la culture. »
Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, 1966.
Dans ce portrait justement, c’est l’expression affectueuse en afrikaans « petite balle » qui trouve difficilement la même symbolique dans la langue française. Littéralement, cela veut dire « petite balle » mais cette expression idiomatique pourrait plutôt être maladroitement traduite par « mon petit chéri ».
Le vouvoiement
“Le langage apparaît dans la réalité seulement en tant que multiplicité. »
Wilhelm von Humboldt, 1795.
Le « vous » ne vient pas du dialectal mais de l’arabe classique, le vouvoiement implique que l’interlocuteur soit allé à l’école et qu’il ait appris cette manière de s’exprimer. Ce n’est pas le cas de l’arabe spontané, qui est parlé au quotidien.
Quelle place pour la politesse ?
Econome en mot, la politesse s’exprime différemment en finlandais. Evidemment, il y a une traduction pour dire « s’il vous plaît », « merci », « bonne journée » mais ils sont moins employés qu’en français.
Exprimer la douleur
« Vouloir penser sans les mots, c’est une tentative insensée. Et il est également absurde de considérer comme un désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu’il y a de plus haut, c’est l’ineffable. Mais c’est là une opinion superficielle et sans fondement ; car, en réalité, l’ineffable, c’est la pensée obscure, la pensée à l’état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu’elle trouve le mot. Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. »
Hegel, Philosophie de l’esprit, 1817.
Évoquer la « douleur » en arménien instaure un positionnement qui n’existe pas en français. L’Arménien « emporte la douleur » de son interlocuteur.
Parler à son médecin
« Pensée et parole s’escomptent l’une l’autre. Elles se substituent continuellement l’une à l’autre. Elles sont relais, stimulus l’une pour l’autre. Toute pensée vient des paroles et y retourne, toute parole est née dans les pensées et finit en elles. »
Merleau-Ponty, Signes, 1960.
Pour les Soudanais, chez le médecin, c’est le patient qui met à l’aise le docteur afin qu’il lui pose des questions sur le mal qu’il a. Une manière pour le patient d’évacuer son stress.
La désolation
En ipunu, la traduction de « Oh mon Dieu ! » sous-tend la désolation face à une situation dans laquelle on est dépourvu de moyens. Littéralement, un Gabonais exprime qu’il aimerait que sa maman soit là lorsqu’il est désolé, abattu.
Le mariage
« Le langage est un des instruments spirituels qui transforment le monde chaotique des sensations en monde des objets et des représentations. »
H. Delacroix, Le langage et la pensée.
Une femme peut épouser, en français, c’est un verbe actif. Dans les langues africaines, il n’y a que l’homme qui épouse, la femme est passive, elle est épousée.
Todo bien, nada
« Tous les moyens de l’esprit sont enfermés dans le langage, et qui n’a point réfléchi sur le langage n’a point réfléchi du tout. »
Alain, Propos sur l’éducation.
En espagnol d’Argentine, todo bien, nada, n’a plus de valeur, c’est une béquille du langage phatique ; c’est le mot « rien » qui a perdu son sens originel.
Le bla-bla
« Le mot… permet d’exprimer les phénomènes les plus variés. Ces phénomènes, on les exprime : on croit donc les expliquer. »
Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique.
En portugais d’Angola, l’expression « le chien qui aboie ne mord pas », traduit littéralement le « bla-bla », cela pourrait signifier la parole qui ne s’accompagne d’aucune réalisation.
Crédits
Vidéos :
© Claude Vittiglio / TV5MONDE
1ère édition : « Votre langue e(s)t le français » réalisé dans le cadre du 13ème Congrès Mondial de la Fédération Internationale des professeurs de Français, à Durban, Afrique du Sud.
Des professeurs venus du monde entier illustrent, à partir de mots ou de situations propres à leurs sociétés, les rapports croisés de leur langue maternelle avec le français.
Variations, synonymes, ellipses, redondances, particularismes : une mosaïque d’expressions, de visages, de sensibilités et de cultures.